Une jeune femme avait passé plusieurs années dans les frivolités mondaines.
Une vanité sans mesure, un formidable orgueil, avaient fait de ces années écoulées
sans autre but que de plaire, briller, dominer, et dénuées de toute pratique religieuse,
des années fort coupables devant Dieu.
Elle fut accablée d'adversités, elle en fut brisée... et transformée.
L'âme qui sort des eaux amères de la tribulation donne à tous les
biens de ce monde leur juste valeur.
Je la connus, alors qu'elle était devenue aussi humble qu'elle avait été hautaine;
aussi simple et modeste qu'elle avait été élégante et raffinée dans tout ce qui l'entourait;
aussi pieuse et zélée qu'elle avait été égoïste et indifférente.
J'avais observé que souvent, sous l'obsession d'une pensée amère,
son beau front s'assombrissait soudain. Il y avait alors dans l'expression douloureuse
de sa physionomie, quelque chose de troublé, de désolé, de découragé. Je sentais qu'il
y avait en elle une douleur secrète, une souffrance inconnue et contenue.
Son visage en portait l'empreinte.
Un jour, je la trouvai plongée dans une tristesse profonde;
ses yeux étaient gonflés de larmes et toute sa personne révélait un accablement
sans mesure. Nos relations charitables avaient établi entre nous une certaine intimité,
et je pus sans indiscrétion m'informer de ce qui pouvait ainsi l'affliger.
‟Ah, me répondit-elle, je lutte en vain contre d'écrasants souvenirs et,
bien qu'ordinairement je parvienne à les surmonter, ils surgissent parfois,
glaçant et transperçant mon cœur, qui ne peut plus porter sa lourde peine !ˮ
Elle se tut un instant, hésitante, puis elle continua d'un ton de voix oppressé, saccadé:
‟Vous le savez, j'ai longtemps usé ma vie dans des rêves insensés, et prodigué
les richesses de mon cœur aux créatures pour donner un bonheur qu'elles sont
incapables de donner. Je parais, j'adulais ce corps qui doit être un jour la pâture des vers,
et j'ai causé dans ma folie la perte de plusieurs âmes. Elles sont peut-être en enfer
aujourd'hui pour l'Éternité… et par ma faute. Ah ! c'est là l'indicible angoisse, et dont rien,
rien ne pourra jamais me consoler !... L'une de ces âmes surtout !... Ô mon Dieu !... mon Dieu ! ! ...ˮ
- ‟Il faut prier pour cette âme.ˮ
- ‟Mais il est mort !ˮ, s'écria-t-elle dans un élan de détresse infinie.
‟Je donnerais mon sang pour le salut de cette âme aujourd'hui
que j'en connais la valeur, et combien tout est fange et poussière en
comparaison de Jésus-Christ. Il est trop tard ! trop tard ! !ˮ
- ‟Écoutez-moi, Madame, et vous reconnaîtrez peut-être que vis-à-vis
l'incommensurable Bonté de Dieu, ce mot "trop tard" ne peut souvent avoir de sens…
Un homme était mort depuis longtemps quand Notre-Seigneur le fit voir
à sainte Gertrude dans un état si lamentable que la sainte ne sut d'abord
si c'était un habitant de l'enfer, ou de cette région purgative où règne encore l'Espérance.
Remuée jusqu'au fond des entrailles à cette vue, la sainte s'écria :
‟Seigneur, Seigneur ! je vous implore pour cette âme, ayez pitié d'elle ! ayez pitié !
Laissez-vous fléchir par mes prières et pardonnez-lui !ˮ Le Rédempteur répondit aussitôt:
‟Ma lumière divine pénètre dans l'avenir et je savais qu'un jour viendrait où vous me
feriez pour lui cette prière. C'est pourquoi, à l'heure de sa mort je mis en lui de bonnes dispositions.
Il a donc subi un jugement de miséricorde. Il se purifie dans le purgatoire.ˮ
‟Vous le voyez, Madame, vous pouvez avoir espoir, prier pour cette âme.
Vous voudriez donner votre sang pour elle; cela ne se peut. Mais vous avez
le Sang de Jésus-Christ, offrez-Le pour elle...
Cette prière d'aujourd'hui, Dieu savait que vous la lui adresseriez un jour.
Elle était là dans toute son ardeur, toute baignée de vos larmes, devant le Cœur
et les yeux du Sauveur; elle était là, implorant miséricorde et pardon, à l'heure de
la mort de cet homme dont vous pleurez si amèrement la perte.
Elle était là, et en considération, le Bon, le Divin Pasteur, qui a donné sa vie pour
ses brebis, rallumait chez le mourant une étincelle de Foi, de Charité, l'arrachant de l'abîme.
C'est pourquoi je vous répète: Priez ! Priez ! Il n'est pas d'industrie dont notre adorable
Maître ne se serve pour sauver les âmes qu'Il a rachetées sur la Croix, avec tant de
souffrances et d'Amour.ˮ
Elle m'avait écoutée, immobile, son regard dévorant le mien; buvant chacun de mes mots qui,
devant sa poignante et sombre douleur, découvrait un clair horizon, tout de confiance et d'espérance.
Et sa vive et prompte intelligence compris en quelque façon, par une intuition soudaine,
l'abîme de l'amour de Dieu envers les hommes et la profondeur de sa Miséricorde infinie,
dépassant toute imagination.
Ses traits se détendirent, une joie rayonnante brilla dans ses yeux et ce fut avec un sourire
d'extatique bonheur qu'elle s'écria, quand j'eus cessé de parler: ‟Ah, c'est trop beau ! Ah, c'est trop consolant !...
Vous venez de fermer à jamais cette porte toujours ouverte au désespoir sur le passé.
Oh ! Comme je vais prier, que de supplications notre bon Jésus a perçues en ses heures d'agonie,
car je ne cesserai plus jusqu'à mon dernier jour de prier pour les pauvres âmes que j'ai perdues.ˮ ■
Source:
‟Précieux recueil de spiritualitéˮ,
par A. Ponthaud, Éd. D.F.T
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